A
Augusto Salvador


Mademoiselle de Sombreuil. Jeanne-Jacques-Marie-Anne-Françoise de Virot Sombreuil, comtesse de Villelume, dite « Marie-Maurille comtesse de Villelume », née au château de Leychoisier (où L'Eychoisier) à Bonnac-la-Côte, (Haute-Vienne) le 14 février 1768 et morte à Avignon le 15 mai 1823 est une aristocrate française du xviiie siècle. Elle sera immortalisée par la légende sous le nom de « l'héroïne au verre de sang ».


Романтика Всех возростов.
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I


Ceux-là qui, au temps où M. Labat père, digne prédécesseur de son fils, était directeur des Archives de la Préfecture de police, ont pu consulter et regarder les trésors historiques enfouis dans l'espèce de grenier où on logeait l'archiviste, sous les toits d'où l'on apercevait la flèche de la Sainte-Chapelle, ceux-là peuvent seuls savoir ce que les incendiaires de la Commune ont dérobé à l'histoire et à l'avenir. Que de monuments écrits! Sans compter des curiosités artistiques, comme, par exemple, tel buste de Marat provenant d'une section de Paris. Que de papiers importants, de choses inédites! Il y avait là de quoi écrire la plus curieuse des histoires, l'Histoire des lettres de cachet. Il y avait les écrous des prisons, celui de la Conciergerie, avec les signalements de Marie-Antoinette et de madame Roland, et des procès-verbaux d'exécutions, comme celui de Bailly où l'on pouvait suivre, aux terribles ratures du greffier, le nombre des stations que l'on fit faire au martyr, de la place de la Révolution au champ de Mars.

Il y avait aussi (quel étonnement!) le registre des massacres de septembre. Ce registre! Je le vois encore.

Il m'a été donné justement de le feuilleter un jour. Ce registre est—ou était—un in-4°, à peine épais comme deux doigts, carré de forme et relié en parchemin blanc que le temps avait sali. Les feuillets étaient couverts d'une écriture large et ornée, une écriture de l'ancien temps, celle du greffier chargé de l'écrou. Chaque page, divisée en deux, présentait d'un côté les noms, prénoms et qualités des prisonniers, en général des Suisses arrêtés au 10 août; de l'autre, tracé de la main de Maillard ou de celle du greffier, le résultat du jugement. Une croix, placée en regard de chaque nom, indiquait que Maillard marquait, à mesure qu'on les appelait, les prisonniers. Puis; en face de ce nom (la lettre M largement tracée et les jambages se contournant élégamment), le mot Mort écrit par Maillard et suivi partout de cette note du greffier: Par jugement du peuple;—ou (toujours de l'écriture de Maillard, avec les mêmes fioritures aux majuscules) l'indication: En liberté.

On le regardait, ce registre, avec une impression d'effroi, et l'on se demandait si vraiment il avait été le témoin muet de l'horrible drame du 2 septembre. Oui, c'était bien lui. Ces taches jaunes qui le maculaient étaient des taches de sang. Quelques-unes avaient été faites par les doigts des travailleurs venant tourner les feuillets pour voir s'il y avait encore beaucoup de prisonniers à appeler; d'autres avaient dégoutté des vêtements de ces misérables. Les massacreurs n'entraient pourtant que par hasard dans la salle où se tenait le tribunal. M. Labat avait été mis au courant de la façon dont ces terribles, ces criminelles exécutions étaient alors organisées.

Il y a quelques années un vieillard, l'air triste et le costume convenable, vint voir feu M. Labat et lui demanda à consulter ce registre de l'Abbaye. On ne le communiquait pas à tout le monde. M. Labat s'informe, l'autre balbutie, hésite, explique que ses souvenirs se rattachent pour lui à ce livre, et finalement déclare qu'il se trouvait tout enfant à l'Abbaye au moment du massacre.

Un témoin du 2 septembre! Un témoin vivant! M. Labat n'avait garde de le laisser échapper. Il lui montre le registre. Le vieillard pâlit et recule, puis il avance: «Oui, c'est cela, c'est bien cela!» dit-il. Et alors, s'échauffant, se souvenant, il explique à M. Labat comment Maillard, placé entre les deux guichets, celui qui s'ouvrait sur les corridors et par lequel venaient les prisonniers, et le guichet par lequel ils sortaient, traçait les sentences sur le registre à mesure qu'elles étaient rendues. Ce qui prouve—en passant—que Mlle de Sombreuil n'a pas pu boire le fameux verre de sang, puisque Maillard ayant écrit en regard du nom de M. de Sombreuil la note: En liberté, M. de Sombreuil, libre avant même d'être sorti de la salle, n'avait pu être sauvé par sa fille dans la cour où les travailleurs ne l'attendaient plus.

«Monsieur Maillard était alors, dit sans affecter d'appuyer sur le Monsieur, ce témoin à M. Labat (qui a vérifié ces assertions), monsieur Maillard était un jeune homme d'une trentaine d'années, brun, grand, l'oeil superbe, les cheveux noués en catogan. Il portait, ce jour-là, un habit gris à larges poches et des bas chinés. De temps à autre les travailleurs venaient derrière monsieur Maillard, consulter des yeux le registre et parfois leurs mains en touchaient les feuillets. De là le sang que vous voyez!»

Tout en parlant, le vieillard semblait vraiment revoir les scènes de carnage de septembre. Il parla longtemps encore, remercia, puis s'éloigna, comme en chancelant, et M. Labat ne le revit plus.

Étrange destinée que celle de ce Maillard, mort à trente et un ans, et dont la mémoire est encore sanglante et détestée, lorsqu'à cette date du 2 septembre, il joua, tout au contraire—faut-il le dire?—un rôle providentiel (s'il en est dans l'histoire), et, enrégimentant, organisant la fureur populaire, la dirigea et la calma en partie, lui arracha plus de victimes qu'on ne croit, sauva des innocents, épargna bien des gens voués à la mort et qui, sans lui, eussent péri déchirés par une populace irritée, affolée, criminelle! Oui, il brava cette rage même, délibérant froidement, acquittant ou condamnant, selon sa conscience, sans que les sabres levés sur lui pussent influencer son jugement.

Mais il avait touché au sang: c'était assez, et—c'est justice—sa mémoire en demeurera éternellement ensanglantée, souillée et exécrée.

31 мая 2018 г. 0:33 0 Отчет Добавить Подписаться
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