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Augusto Salvador


Les pas dans les pas 1903, Paul Bourget, né à Amiens le 2 septembre 1852 et mort à Paris le 25 décembre 1935, est un écrivain et essayiste catholique français, académicien, issu d’une famille originaire d’Ardèche.


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LE COB ROUAN I

A Carlo Placci.

Quand j'étais enfant, j'ai lu quelque part cette[203] légende d'une âme du purgatoire: elle ne devait entrer au ciel qu'après être revenue sur la terre à tous les endroits où, vivante, ses pas s'étaient posés, afin d'effacer toutes les traces de ses démarches coupables, afin de recueillir tous les vestiges de ses actions vertueuses. Que de fois je me suis rappelé ce symbole, en constatant que dès ce monde le sort nous force de remettre sans cesse nos pas dans nos pas, et il nous faut retrouver, aux détours désappris de nos anciens chemins, le fantôme de l'homme que nous fûmes un jour! Le plus souvent ces rencontres trop précises avec le passé n'ont d'autre effet qu'une émotion, aussitôt exorcisée qu'éprouvée. Il y a une impérieuse magie du réel, célébrée par Gœthe. «Le présent,» disait-il, «a tous les droits!...» Oui, pour un héros de l'action, robuste comme lui. Pour certaines sensibilités, au contraire, ou[204] plus fines ou plus faibles, ces soudaines rentrées sur les routes de jadis deviennent l'occasion de drames intimes d'une mélancolie singulière. Ce sont six tragédies morales de cet ordre que j'ai réunies et appelées, par ressouvenir de cette lointaine légende: Les pas dans les pas.


Ils sont nombreux, très nombreux, les Parisiens et les étrangers qui ont reçu, ces temps derniers, la lettre de faire part de la mort d'Hippolyte Perron-Duménil. Ayant débuté dans le monde aux environs de 1860, et n'ayant pas cessé, jusqu'au moment où il tomba malade, en décembre 1902, de figurer dans tous les endroits où la mode veut que l'on s'amuse, qui cet homme spirituel et si fin ne connaissait-il pas? Je dis: qui ne connaissait-il pas? Car ses yeux aigus ne se trompaient guère sur les gens, tandis que lui-même, le causeur volontiers sceptique, était connu dans la vérité de sa nature, par si peu de personnes! Le hasard d'une rencontre m'ayant révélé un trait follement romanesque de cet aimable railleur, l'idée m'est venue de relater cette déjà lointaine rencontre. Ce sera ma façon de lui rendre hommage, puisque, absent de Paris, je n'ai pas pu suivre son convoi. Cette histoire[206] ne ressemble guère aux propos qui se sont certainement tenus sur le défunt lors de cet enterrement. Pour le public, Perron-Duménil, avec son joli tour de conversation, n'était pourtant qu'une variété du type immortel si merveilleusement croqué par Molière: Le Bourgeois gentilhomme. Oh! la plus rare, la plus délicate des variétés, un bourgeois gentilhomme si avisé qu'il avait trouvé le moyen d'avoir du goût dans un personnage qui risque si aisément d'être ridicule! Jugez-en: fils d'un avocat d'affaires qui se trouvait avoir rendu un signalé service à M. de Morny, Perron est entré dans la société par le salon du célèbre duc, et il a su manœuvrer de manière qu'il a vécu et qu'il est mort membre du Jockey! Il est vrai qu'il datait d'une des élections du siège. Que j'ai entendu souvent des malveillants se faire un succès aux dépens de ce causeur envié,—quand il n'était pas là,—en racontant qu'il avait traversé les lignes prussiennes pour venir poser sa candidature dans le seul ballottage où il eût quelque chance d'être élu! C'était une calomnie, car il s'était engagé, fort bravement et fort simplement, dès le début de la guerre, et s'il se trouvait dans la garnison de Paris, c'était fortuit. Il a profité de la chose, et il a passé, grâce à un parrainage bien choisi. On peut trouver que c'était là penser à de bien frivoles intérêts dans une heure bien tragique, mais son admission dans le plus[207] aristocratique de nos cercles n'ayant pas empêché le nouveau membre de recevoir une balle à Montretout, comment le blâmer d'une petite ambition sociale, associée au plus mâle courage? D'ailleurs, si vous l'avez pratiqué, vous a-t-il jamais fait une allusion qui vous laissât entendre qu'il fût «du club»? A-t-il davantage essayé, lui qui fréquentait intimement chez les duchesses, de détacher le «du» de son second nom, et d'intercaler une «s» entre l' «e» et le «n» de Ménil? Perron du Mesnil, c'était bien tentant. Il est resté Perron-Duménil comme feu son père, ce qui ne l'empêchait pas, tout comme le Monsieur Jourdain de la comédie—quel trait d'un maître!—d'avoir les prétentions les plus plébéiennes aux sports nobles. Seulement Monsieur Jourdain y est grotesque, et Perron-Duménil y excellait. Il a été un escrimeur impeccable, un premier fusil, un bon paumier. Il a eu le bouton d'un des grands équipages de Seine-et-Marne, le tout avec cet air d'amateur qui convient «aux gens de qualité, lesquels savent tout sans avoir rien appris». Perron-Duménil, lui, avait tout appris, avec une application si dissimulée qu'il semblait «né» tout ce qu'il était devenu. Il s'était fait «amateur» en art, également, ayant découvert que, de nos jours, une collection vaut un titre. Il a travaillé dans une partie rare, et pas trop coûteuse: les dessins des maîtres français du dix-neuvième siècle. Il en[208] avait un musée, petit mais choisi, qu'il a légué à Chantilly, par souvenir d'une amitié princière. Et voilà encore une de ses supériorités: la «vente» profitable répugnait à son personnage. Sa collection l'avait mis en rapport avec bien des peintres et des sculpteurs; pas un qui puisse l'accuser d'une de ces «carottes» habituelles aux Mécènes du monde. Il a mené bien des dames de la société dans des ateliers, pour ces visites aux tableaux ou aux marbres inédits dont elles sont si friandes. Pas une qui puisse l'accuser d'un de ces brocantages fructueux en portraits et en bustes, autre procédé favori des Mécènes!

Ce sont là des qualités exquises,—on peut les posséder au plus haut degré et n'être en aucune manière un héros de roman.—Et pourtant!... Avoir du goût comme en avait Perron, c'est aussi avoir l'esprit très délicat et une perception très aiguë des nuances. C'est donc goûter la vie dans sa vérité, et contrairement au préjugé qui veut que tout passionné soit un imaginatif, j'oserai affirmer qu'il est au contraire un réaliste et qu'il sent d'autant plus fortement s'il sent plus juste. Cette loi fut en tout cas exacte pour le séduisant compagnon dont je viens d'esquisser un «crayon» tout extérieur. Voici maintenant l'anecdote sentimentale où il fut mêlé d'une manière qui n'étonnera pas ses quelques intimes.

27 de Mayo de 2018 a las 22:30 0 Reporte Insertar Seguir historia
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